Nuages latins

Les 33 « Nuages » de ce recueil, publiés en 1988 aux Editions de la Différence, sont le fruit de la patiente prolifération graphique du texte de poèmes sommairement jetés sur le papier autour desquels se condense ensuite l’encre de milliers de traits fins qui finissent par les rendre presque illisible. Le tracé originel des mots n’en continue pas moins de gouverner secrètement la forme et le mouvement particulier de chaque nuage. Ces textes évoquent tour à tour ces jeux d’écriture, ces tourbillons de pensées, ces échanges de paroles dont les nuages – les vrais – semblent être la métaphore vivante.

Les 33 « Nuages » de ce recueil, publiés en 1988 aux Editions de la Différence, sont le fruit de la patiente prolifération graphique du texte de poèmes sommairement jetés sur le papier autour desquels se condense ensuite l’encre de milliers de traits fins qui finissent par les rendre presque illisible. Le tracé originel des mots n’en continue pas moins de gouverner secrètement la forme et le mouvement particulier de chaque nuage. Ces textes évoquent tour à tour ces jeux d’écriture, ces tourbillons de pensées, ces échanges de paroles dont les nuages – les vrais – semblent être la métaphore vivante.

Chaque nuage tire spectacle d’une énigme.

Chaque nuage tire spectacle d’une énigme.

Cet été-là le ciel fut en proie à de grands nuages vers lesquels je tournais ma chaise pour écrire. Jamais plus que cet été-là les nuages ne furent métaphore de l’écriture. Comme eux je parcourais ma feuille en la ravageant. Pour finir j’élisais dans le chaos des phrases détruites quelques mots que j’entourais d’un trait fin qui achevait de les rendre nuages. Levant alors les yeux je découvrais dans la configuration des orages la chose même que je venais de capter sur ma feuille. Epuisé, renversé sur ma chaise, je m’en remettais au vent pour chasser mes brouillons hors du ciel.

Cet été-là le ciel fut en proie à de grands nuages vers lesquels je tournais ma chaise pour écrire. Jamais plus que cet été-là les nuages ne furent métaphore de l’écriture. Comme eux je parcourais ma feuille en la ravageant. Pour finir j’élisais dans le chaos des phrases détruites quelques mots que j’entourais d’un trait fin qui achevait de les rendre nuages. Levant alors les yeux je découvrais dans la configuration des orages la chose même que je venais de capter sur ma feuille. Epuisé, renversé sur ma chaise, je m’en remettais au vent pour chasser mes brouillons hors du ciel.

Cet été-là les nuages franchirent le ciel dans le sens de l’écriture.

Cet été-là les nuages franchirent le ciel dans le sens de l’écriture.

Chaque nuage est un morceau de poésie en proie à la mécanique des fluides.

Chaque nuage est un morceau de poésie en proie à la mécanique des fluides.

En ce temps-là, les nuages formulaient à chaque instant de nouveaux animaux, et je lisais dans le ciel l’histoire de la création.

Couché dans l’herbe, il m’arrivait pourtant de m’endormir inconsidérément. Quelques maillons de l’évolution des espèces m’échappaient pour toujours.

En ce temps-là, les nuages formulaient à chaque instant de nouveaux animaux, et je lisais dans le ciel l’histoire de la création.

Couché dans l’herbe, il m’arrivait pourtant de m’endormir inconsidérément. Quelques maillons de l’évolution des espèces m’échappaient pour toujours.

A croire qu’ils vinrent tous à mon baptême pencher leurs noms sur moi.

Depuis ce jour, je vis à l’ombre des nuages, et dans l’ombre des mots.

A croire qu’ils vinrent tous à mon baptême pencher leurs noms sur moi.

Depuis ce jour, je vis à l’ombre des nuages, et dans l’ombre des mots.

Pris au piège des mots, halé jusque sur ma feuille, le nuage poursuit en géométrie plane un long voyage calligraphique.

Pris au piège des mots, halé jusque sur ma feuille, le nuage poursuit en géométrie plane un long voyage calligraphique.

Pour franchir le vide qu’ouvre la feuille blanche dans la table, le nuage se glisse dans les mots que je lui prête.

Pour franchir le vide qu’ouvre la feuille blanche dans la table, le nuage se glisse dans les mots que je lui prête.

Les nuages parcourent le ciel en se réfutant inlassablement sans que je comprenne rien à leurs discours, sinon que chaque mot échangé ajoute ou retranche impitoyablement quelque substance à leur personne.

Les nuages parcourent le ciel en se réfutant inlassablement sans que je comprenne rien à leurs discours, sinon que chaque mot échangé ajoute ou retranche impitoyablement quelque substance à leur personne.

Les nuages parcourent le ciel en se réfutant inlassablement sans que je comprenne rien à leurs discours,

Les nuages parcourent le ciel en se réfutant inlassablement sans que je comprenne rien à leurs discours,

Des nuages étanches transportent le mot soif au coeur de l’eau volée.

Des nuages étanches transportent le mot soif au coeur de l’eau volée.

Deux nuages se poursuivent sans fin comme le cavalier et la cavalière filmés au ralenti qui traversaient notre enfance sur l’écran géant du drive-in.

Deux nuages qui galopent encore dans le ciel comme si le temps n’appartenait qu’aux soupirs. qui se jettent à la tête des morceaux entiers de leur corps comme autant de secrets. Qui s’entre-tuent en plein vol de mots très doux comme si le langage était l’innocence même.

Deux nuages se poursuivent sans fin comme le cavalier et la cavalière filmés au ralenti qui traversaient notre enfance sur l’écran géant du drive-in.

Deux nuages qui galopent encore dans le ciel comme si le temps n’appartenait qu’aux soupirs. qui se jettent à la tête des morceaux entiers de leur corps comme autant de secrets. Qui s’entre-tuent en plein vol de mots très doux comme si le langage était l’innocence même.

Iles dormantes, les nuages changent la carte du ciel en rêvant.

 Grâce au ciel le cartographe est un rêveur.

Iles dormantes, les nuages changent la carte du ciel en rêvant.

 Grâce au ciel le cartographe est un rêveur.

Je raconte l’Illiade, dit l’arbre.

Je raconte l’Odyssée, dit le nuage.

Je raconte l’Illiade, dit l’arbre.

Je raconte l’Odyssée, dit le nuage.

Avec un semblant de matière les nuages miment les premiers instants du monde quand des paysages entiers, poussés par le verbe, voyageaient d’une extrémité à l’autre de la pensée divine.

Avec un soupçon d’écriture j’introduis en ces simulacres vides un peu de la substance solide des mots et fixe, sur ma feuille, un terme à leur errance.

Avec un semblant de matière les nuages miment les premiers instants du monde quand des paysages entiers, poussés par le verbe, voyageaient d’une extrémité à l’autre de la pensée divine.

Avec un soupçon d’écriture j’introduis en ces simulacres vides un peu de la substance solide des mots et fixe, sur ma feuille, un terme à leur errance.

Il arrive que mon oeil rencontre un nuage et serve opportunément de point d’appui à sa course. Mais si je lui prête assistance jusqu’à cet instant de perfection c’est pour aussitôt fermer les yeux et briser net le ressort de sa fuite.

Il en est alors du nuage comme d’un fossile énorme encastré dans le temps, prisonnier du séisme d’un battement de paupière.

Comme d’un sarcophage en suspension dans ma mémoire, réceptacle de tous mes voyages différés.

Comme de ce poème gisant sur ma feuille, pétrifié par l’aboutissement précis des mots, embaumé dans sa propre calligraphie.

Il arrive que mon oeil rencontre un nuage et serve opportunément de point d’appui à sa course. Mais si je lui prête assistance jusqu’à cet instant de perfection c’est pour aussitôt fermer les yeux et briser net le ressort de sa fuite.

Il en est alors du nuage comme d’un fossile énorme encastré dans le temps, prisonnier du séisme d’un battement de paupière.

Comme d’un sarcophage en suspension dans ma mémoire, réceptacle de tous mes voyages différés.

Comme de ce poème gisant sur ma feuille, pétrifié par l’aboutissement précis des mots, embaumé dans sa propre calligraphie.

Ce nuage illisible rendit soudain ma raison heureuse.

Ce nuage illisible rendit soudain ma raison heureuse.

Embarqué sur un nuage, médusé par les tentacules de son discours, j’ai pourtant comme un doute qui plane sur le monde.

Embarqué sur un nuage, médusé par les tentacules de son discours, j’ai pourtant comme un doute qui plane sur le monde.

Quoi ! ces géants ne nous menaceraient.

que de gestes vides de sens.

Ces montagnes volantes n’abriteraient qu’un semblant de matière

De tels champignons

ne transporteraient aucun

maléfices.

Allons

donc !

le ciel ne

risquerait

plus de

nous

tomber

sur la

 tête ?

Ça, ni les Gaulois ni personne n’en croient le premier mot.

Quoi ! ces géants ne nous menaceraient.

que de gestes vides de sens.

Ces montagnes volantes n’abriteraient qu’un semblant de matière

De tels champignons

ne transporteraient aucun

maléfices.

Allons

donc !

le ciel ne

risquerait

plus de

nous

tomber

sur la

 tête ?

Ça, ni les Gaulois ni personne n’en croient le premier mot.

Bêtes à dévorer le langage, les nuages nettoient le ciel.

Bêtes à dévorer le langage, les nuages nettoient le ciel.

C’est dans les nuages que je muscle les mots. Gonfle et dégonfle les voyelles. Entraîne au mieux tous les vocables sportifs.

C’est dans les nuages que je muscle les mots. Gonfle et dégonfle les voyelles. Entraîne au mieux tous les vocables sportifs.

Trois nuages se partagent le monde. Le premier niché dans mon oeil se retourne dans son sommeil et gouverne mes rêves. Celui-là ne dit mot.

Le second navigue dans ma bouche et tourne sept fois le moindre soupir. Il sculpte en silence des phrases lourdes comme des loukoums. Celui-là n’a rien à dire.

Le troisième tient tout entier dans ma main et débarque en douce sur ma feuille toute une cargaison de mots vivants. Celui-là je le laisse dire.

Trois nuages se partagent le monde. Le premier niché dans mon oeil se retourne dans son sommeil et gouverne mes rêves. Celui-là ne dit mot.

Le second navigue dans ma bouche et tourne sept fois le moindre soupir. Il sculpte en silence des phrases lourdes comme des loukoums. Celui-là n’a rien à dire.

Le troisième tient tout entier dans ma main et débarque en douce sur ma feuille toute une cargaison de mots vivants. Celui-là je le laisse dire.

Un nuage passe.

L’ombre d’un instant glisse sur ma feuille.

Un nuage passe.

L’ombre d’un instant glisse sur ma feuille.

Un nuage quitte le ciel et le ciel perd la mémoire

Un nuage quitte le ciel et le ciel perd la mémoire

A qui s’en remettre, sinon au nuage, pour tracer le contour du présent.

A qui s’en remettre, sinon au nuage, pour tracer le contour du présent.

Ils mettent en musique le moindre de nos graffitis.

Ils font un opéra d’un seul de nos soupirs.

Ils mettent en musique le moindre de nos graffitis.

Ils font un opéra d’un seul de nos soupirs.

Gros poumons expulsés de cages thoraciques géantes, interprètes approximatifs de nos soupirs, les nuages ne respirent plus que poussés par la force de l’habitude, brassant des poches pleines de mots noyés, perdus pour le langage.

Gros poumons expulsés de cages thoraciques géantes, interprètes approximatifs de nos soupirs, les nuages ne respirent plus que poussés par la force de l’habitude, brassant des poches pleines de mots noyés, perdus pour le langage.

Engluée dans des hiéroglyphes vivants, étouffée par les bandelettes du nuage, c’est l’âme immortelle de Pharaon qui se débat, cherchant dans les plis de sa mémoire un mot perdu, la clef du ciel :

lapis-lazuli.

Engluée dans des hiéroglyphes vivants, étouffée par les bandelettes du nuage, c’est l’âme immortelle de Pharaon qui se débat, cherchant dans les plis de sa mémoire un mot perdu, la clef du ciel :

lapis-lazuli.

Des cadavres de nuages dérivent dans le ciel, s’abandonnant à d’exquis démantèlement, échangeant leurs apparences et leurs noms, indifférents à s’appartenir sous quelque forme que ce soit.

Quant à moi, debout parmi leurs ombres qui dérivent sur toute l’étendue de ma vie, submergé par ces caresses et par cette encre, je m’acharne à dresser ici une stèle précaire, à maintenir en moi tout un équilibre instables de chairs et de mots.

Des cadavres de nuages dérivent dans le ciel, s’abandonnant à d’exquis démantèlement, échangeant leurs apparences et leurs noms, indifférents à s’appartenir sous quelque forme que ce soit.

Quant à moi, debout parmi leurs ombres qui dérivent sur toute l’étendue de ma vie, submergé par ces caresses et par cette encre, je m’acharne à dresser ici une stèle précaire, à maintenir en moi tout un équilibre instables de chairs et de mots.

L’un après l’autre je jette mes brouillons chiffonnés à la poursuite de nuages en lambeaux. Il y a des jours de confusions où la grammaire cède tout au vent.

L’un après l’autre je jette mes brouillons chiffonnés à la poursuite de nuages en lambeaux. Il y a des jours de confusions où la grammaire cède tout au vent.

Les nuages n’en finissent jamais de plier et de déplier ces grandes pages dont ils ne savent que faire. De les déchirer comme par inadvertance. de les recoller presque avec soin. De les retourner en tous sens en faisant semblant de chercher le début d’un message, qu’au vrai, ils ne désirent pas lire.

Les nuages n’en finissent jamais de plier et de déplier ces grandes pages dont ils ne savent que faire. De les déchirer comme par inadvertance. de les recoller presque avec soin. De les retourner en tous sens en faisant semblant de chercher le début d’un message, qu’au vrai, ils ne désirent pas lire.

Les nuages sont la lingerie fine du monde. On dirait que des êtres ou des choses, cachés derrière l’horizon, nous balancent toute leur garde-robes au visage. Nous en sommes réduits à imaginer leurs formes inconnues, à rêver à leurs nudités idéales par le truchement d’empreintes mouvantes apportées par le vent. Il en va des nuages comme des mots. Comme de tous ces noms de choses qui, délestées de leurs poids de matière, ne sont plus que défroques vides exilées dans le langage pour y faire illusion.

Faute de mieux, j’enfouis ma tête dans les linges troublants des nuages. Je fouille dans les replis secrets de l’écriture. Je retourne en tous sens le cocon déchiré des mots. Je cherche à reconstituer l’image de puissantes natures, d’inaccessibles nudités, au travers de leurs enveloppes vides.

Les nuages sont la lingerie fine du monde. On dirait que des êtres ou des choses, cachés derrière l’horizon, nous balancent toute leur garde-robes au visage. Nous en sommes réduits à imaginer leurs formes inconnues, à rêver à leurs nudités idéales par le truchement d’empreintes mouvantes apportées par le vent. Il en va des nuages comme des mots. Comme de tous ces noms de choses qui, délestées de leurs poids de matière, ne sont plus que défroques vides exilées dans le langage pour y faire illusion.

Faute de mieux, j’enfouis ma tête dans les linges troublants des nuages. Je fouille dans les replis secrets de l’écriture. Je retourne en tous sens le cocon déchiré des mots. Je cherche à reconstituer l’image de puissantes natures, d’inaccessibles nudités, au travers de leurs enveloppes vides.

Il en va du nuage s’étirant dans le ciel comme de la goutte de lait s’épanouissant dans la tasse de thé. Ou de cette goutte d’encre que l’écriture déploie sur la feuille de papier. L’invisible mouvement du monde est un instant révélé.

Il en va du nuage s’étirant dans le ciel comme de la goutte de lait s’épanouissant dans la tasse de thé. Ou de cette goutte d’encre que l’écriture déploie sur la feuille de papier. L’invisible mouvement du monde est un instant révélé.