Galets et pierres votives

Trois galets brisés en proie à l’esprit de géométrie
Deux galets brisés en proie à l’esprit de géométrie. Ex-voto. © Sculpture de Max de Larminat. Les prothèses en épicéa de ces deux galets brisés ne cherchent pas de leur faire retrouver leur forme initiale perdue, mais développent respectivement des excroissances en forme de cylindre et de cube. On dirait que surmontant leur malheur d’avoir été brisé, ces galets en un effort mental peu conforme à leur nature de pierre cherchent à accéder à l’esprit de géométrie.
Deux galets brisés en proie à l’esprit de géométrie
La naissance du cube. © Sculpture de Max de Larminat. Ce galet fait partie de la série « galets brisés en proie à l’esprit de géométrie ». Le titre de cette œuvre qui représente un galet accouchant d’un cube est un clin d’oeil à « l’origine du Monde » de Courbet. Ce galet fait maintenant partie de la collection de Harue Murayama (Gallery Tom, Tokyo) qui a rassemblé à l’occasion de l’exposition « Balls for méditation » en 1988 à l’intention d’un public d’aveugles et de mal voyants un grand nombre d’oeuvres à caractère tactiles d’artistes contemporains.
La naissance du cube
À chacun sa part d’ombre, (1). © Max de Larminat. Ces trois galets brisés qui font partie de la série « À chacun sa part d’ombre » dont j’ai taillé les prothèses dans un morceau d’ébène provenant d’un manche de violoncelle sinistré récupéré dans l’atelier d’un luthier. Le noir intense de l’ébène suggère l’impénétrable obscurité qui règne depuis une éternité dans l’âme de la pierre et qui soudain libérée par la fracture du galet s’épanche soudain à l’air libre. Toute analogie avec les parts d’ombre de nos propres cœurs de pierre ne saurait être tout à fait fortuite.
À chacun sa part d’ombre - (1)
À chacun sa part d’ombre, (2). © Sculpture de Max de Larminat. En équilibre précaire, trois des galets de la série « À chacun sa part d’ombre » Tant que ça tient, tout va bien !
À chacun sa part d’ombre - (2)
Galet mis en cage. © Max de Larminat. Est-ce pour notre protection que ce galet est en cage ? Depuis Caïn les cailloux de ce calibre n’ont en effet pas très bonne réputation. Ou bien pour la protection du galet lui-même qui, si l’on en juge par la vaste prothèse de chêne qui occupe prés de la moitié de son volume, a déjà largement payé de sa personne lors d’un grand choc dans sa vie antérieure ? En vérité, je l’ai mis en cage pour le protéger du vol dans une exposition peu surveillée. J’ai néanmoins veillé à ce que le public puisse glisser la main entre les barreaux pour apprécier ses vertus tactiles.
Derrière les barreaux
Galet brisé à spirale. Ex-voto. © Sculpture de Max de Larminat. La prothèse en bois de chêne de ce galet brisé ne se contente pas de reconstituer la forme initiale du galet. Une partie de cette prothèse s’enroule sur elle-même en une spirale qui, comme l’appendice d’un prédateur, ne semble attendre qu’une occasion propice pour se détendre et attraper quelque proie de pierre susceptible accroitre son volume et sa puissance. À moins qu’avec ce tentacule elle envisage de ramper sur le sol ou de s’enfoncer dans le sable, décidé à vaincre sa passive nature de galet.
Avec spirale
Deux galets sortant leur grand jeu. Ex-voto. © Sculpture de Max de Larminat. Il arrive que les prothèses de mes galets aient des apparences de bourgeons, si ce n’est de sphincters, lesquels sont en passe d’accoucher de sortes d’œufs, de fruits sphériques, voire même de calottes crâniennes de créatures improbables puisque nées d’un ventre de pierre. D’autres arborent des prothèses munies de cornes, de rostres ou de défenses. Bref, après leur passage sur ma table d’opération, ces galets incomplets nouvellement parés d’attributs végétaux ou animaux s’essaient à des modes de vie étrangers à leur immémoriale nature minérale.
Jeu à deux
Jeu à trois au jardin d’Eden. © Sculpture Max de Larminat. Cette série de trois galets évoque le trio primordial des acteurs au jardin d’éden : Adam, Ève et le Serpent. Adam est symbolisé par le galet dont la prothèse affiche un bourgeonnement érectile qui n’a pas vocation à rester cantonné à d’aussi modestes proportions, pour peu qu’Ève y mette du sien. De son côté, Ève est aisément reconnaissable grâce à la prothèse fort explicite en forme de vulve entr’ouverte dont je l’ai affublée. Quant au serpent, il a sans équivoque une forme de serpent. Pour réaliser la prothèse du troisième protagoniste de ce drame qui se joue au jardin d’Eden, j’ai prolongé dans le bois de sa prothèse une mince veine de pierre qui saillait de la surface de ce galet, comme si c’était la queue du serpent dont j’ai achevé de sculpter le reste du corps dans le bois.
Jeu à trois
Ex-voto - (1)
Ex-voto - (2)
Ex-voto - (3)
Double fracture. © Max de Larminat. Ce galet gravement accidenté qui, affecté d’une double fracture, avait perdu une grande partie de lui-même retrouve sa superbe grâce à deux prothèses de chêne. À l’instar de ce galet, la traversée de certaines épreuves et le port de certaines cicatrices ne nuisent en rien, bien au contraire, à l’image de nos personnes. L’autre galet qui l’accompagne sur cette photo fait exception à la quasi-totalité de ceux que j’ai traités. Il ne vient pas d’un bord de mer, mais du lit d’une rivière. En l’occurrence de celui de la Durance. C’est le premier galet brisé auquel j’ai jamais posé une prothèse de bois. De quelle essence ? Je ne sais. Je me souviens seulement d’avoir ramassé un bout de bois mort non loin du galet et d’avoir commencé sur place à l’assujettir à la pierre, sur place, à l’opinel, par pur désœuvrement. Ce galet devait être rescapé d’un travail de maçonnerie, peut être de travaux d’endiguement de la rivière, car il porte encore sur l’un de ses flancs une couche de mortier dont je me suis bien gardé de le priver. À chacun son histoire.
Prothèses sur galets brisés - (1) - Scan post-opératoire
Galets à prothèse vermoulue. © Sculpture de Max de Larminat. Ces deux galets brisés, au lieu d’arborer des prothèses flambant neuves, semblent en porter de fort anciennes qui accusent les morsures du temps et surtout celles de vers marins xylophages. Au lieu de tailler de toute pièce les prothèses qui étaient nécessaires à ces galets brisés dans des blocs de bois brut, je me suis contenté de combler leur manque par des morceaux de bois longuement usinés, eux aussi, par le travail des vagues, et dont la forme, par une heureuse coïncidence, pouvait se substituer à leur partie perdue. En quelque sorte, la pierre et le bois avant leur rencontre sur ma table d’opération portaient déjà les stigmates et le souvenir d’épreuves similaire vécus en milieu aquatique. Un passé presque commun les destinait à s’entendre.
Prothèses sur galets brisés - (1) - Scan post-opératoire
Trois galets dont un en forme de coeur. © Max de Larminat. Le premier galet dont la prothèse de bois ne cherchait au départ qu’à en restaurer la forme initiale évoque à l’arrivée, de façon fortuite, mais presque parfaite, le symbole du yin et du yang. Le second qui est de plus petite taille, presque un galet de poche. Il est du genre à se glisser subrepticement en passager clandestin dans le creux d’une main et d’y rester au chaud pendant que son possesseur taille la route en le berçant de son pas. Le troisième galet qui avait autrefois et la forme et la couleur d’un cœur ne bat plus que dans notre imagination, lieu de tous les possibles où il remplit pleinement sa fonction.
Prothèses sur galets brisés - (1) - Scan post-opératoire

À l’hôpital des Galets brisés.

J’ai, de longue date, aménagé dans un coin de mon atelier un petit hôpital pour des galets brisés ramassés sur la grève ou dans le lit d’un torrent. Je leur fabrique des prothèses en bois pour combler ce manque qui leur donne à mes yeux plus de prix que les banales perfections de leurs semblables. Associant le temps du végétal à celui du minéral, prolongeant certaines veines de la pierre par celles du bois, j’appareille tant bien que mal mes patients avec des essences de récupération ayant eux-mêmes fait un long chemin depuis l’abattage de leur arbre d’origine ; par exemple, ce morceau de poutre en chêne trouvé dans le chantier de démolition d’une demeure vieille de plusieurs siècles et dont la densité rivalise presque avec celle du granit ; ou ces magnifiques rebuts de châtaigniers, de hêtres, de poirier ou d’ormes, sauvés du poêle d’un menuisier, et dont le lustre chaleureux tranche sous la main avec la froideur blanchâtre des grès armoricains. Il m’est aussi arrivé de récupérer chez un ami luthier les restes d’un violoncelle sinistré, réutilisant l’ébène de sa touche et l’épicéa de sa table d’harmonie au profit de mes galets accidentés. Mais il m’arrive aussi de découvrir lors de mes pérégrinations des galets de bois vermoulus, menus débris d’embarcations, des chutes de bois d’œuvre ou des bris de branches mortes incomplètement consumées lors de feux de camp sur le sable dont les vagues, prenant le relais du feu, ont poursuivi le façonnage. Quelquefois, par miracle, leurs courbes correspondent à celles de quelque galet brisé auquel je parviens tant bien que mal à les ajuster. J’aime à penser que la pierre et le bois conjuguent le souvenir des musiques dans lesquelles ils baignèrent dans leur vie antérieure, celle de la mer, du feu, ou d’une fosse d’orchestre.

À l’hôpital des Galets brisés.

J’ai, de longue date, aménagé dans un coin de mon atelier un petit hôpital pour des galets brisés ramassés sur la grève ou dans le lit d’un torrent. Je leur fabrique des prothèses en bois pour combler ce manque qui leur donne à mes yeux plus de prix que les banales perfections de leurs semblables. Associant le temps du végétal à celui du minéral, prolongeant certaines veines de la pierre par celles du bois, j’appareille tant bien que mal mes patients avec des essences de récupération ayant eux-mêmes fait un long chemin depuis l’abattage de leur arbre d’origine ; par exemple, ce morceau de poutre en chêne trouvé dans le chantier de démolition d’une demeure vieille de plusieurs siècles et dont la densité rivalise presque avec celle du granit ; ou ces magnifiques rebuts de châtaigniers, de hêtres, de poirier ou d’ormes, sauvés du poêle d’un menuisier, et dont le lustre chaleureux tranche sous la main avec la froideur blanchâtre des grès armoricains. Il m’est aussi arrivé de récupérer chez un ami luthier les restes d’un violoncelle sinistré, réutilisant l’ébène de sa touche et l’épicéa de sa table d’harmonie au profit de mes galets accidentés. Mais il m’arrive aussi de découvrir lors de mes pérégrinations des galets de bois vermoulus, menus débris d’embarcations, des chutes de bois d’œuvre ou des bris de branches mortes incomplètement consumées lors de feux de camp sur le sable dont les vagues, prenant le relais du feu, ont poursuivi le façonnage. Quelquefois, par miracle, leurs courbes correspondent à celles de quelque galet brisé auquel je parviens tant bien que mal à les ajuster. J’aime à penser que la pierre et le bois conjuguent le souvenir des musiques dans lesquelles ils baignèrent dans leur vie antérieure, celle de la mer, du feu, ou d’une fosse d’orchestre.