Cartes postales rectifiées
Toute image est truffée d’images subliminales. Surtout celles qui sont apparemment les plus innocentes. Par exemple de simples cartes postales. Ce sont ces images subliminales tapies, derrière d’inoffensives icônes, que j’aime à débusquer. Pour ce faire, je décape par endroit la surface imprimée de celles-ci de leur gangue de banalité et j’écorche ce sentiment de déjà vu qui recouvre la virulence cachée qu’elles cachent en leur sein. Certaines d’entre elles, édités en grand nombre, par les services de communication d’institution comme le Louvre, la vidéothèque ou le Musée d’Art moderne de la ville de Paris, ou celui de la Seita, nous livrent comme sur un plateau des reproductions d’œuvres ou d’objets tellement connus qu’on ne les regarde plus vraiment. On se contente de les reconnaître d’un seul clin d’œil. De ne les prendre que pour ce qu’elles se proposent d’être : de simples images pense-bête, dont la seule ambition semble de vouloir de nous rappeler d’aller voir telle ou telle exposition, si d’aventure nous en trouvions le temps. Il ne nous vient pas un instant à l’esprit qu’une image à peine entrevue peut en cacher une autre. Car, pour l’heure, pas question d’aller pêcher des grenouilles dans la fée électricité de Raoul Dufy, ou des gamètes mâles en folie dans le bain turc de Ingres, ou de mater derrière trois honnêtes allumettes une joyeuse bande diablotins en rut . Pas le temps non plus de tenter d’apercevoir dans une photo de William Klein les squales menaçants qui rodent la nuit au cœur des reflets mouvants des enseignes lumineuses glissant sur les flancs luisants des automobiles. Ou de voir sous le poing fermé d’un prolétaire sa prolétaire à lui, sa propre femme, qui ne semble nullement résignée à se laisser exploiter par son révolutionnaire de mari.
,Adepte d’une pratique soustractive de l’art, je dirais, paraphrasant Constantin Brancusi, qu’il y a toujours un oiseau caché dans la pierre. Il suffit d’aller le chercher où il est en l’extirpant de tout le gras qui l’entoure.
Faute de pierres ou de bois, je vais parfois dénicher mes grenouilles, mes squales et mes diablotins dans un moins noble matériau ; en l’occurrence, dans l’infime épaisseur de certaines cartes postales.