Galets et pierres votives
À l’hôpital des Galets brisés.
J’ai, de longue date, aménagé dans un coin de mon atelier un petit hôpital pour des galets brisés ramassés sur la grève ou dans le lit d’un torrent. Je leur fabrique des prothèses en bois pour combler ce manque qui leur donne à mes yeux plus de prix que les banales perfections de leurs semblables. Associant le temps du végétal à celui du minéral, prolongeant certaines veines de la pierre par celles du bois, j’appareille tant bien que mal mes patients avec des essences de récupération ayant eux-mêmes fait un long chemin depuis l’abattage de leur arbre d’origine ; par exemple, ce morceau de poutre en chêne trouvé dans le chantier de démolition d’une demeure vieille de plusieurs siècles et dont la densité rivalise presque avec celle du granit ; ou ces magnifiques rebuts de châtaigniers, de hêtres, de poirier ou d’ormes, sauvés du poêle d’un menuisier, et dont le lustre chaleureux tranche sous la main avec la froideur blanchâtre des grès armoricains. Il m’est aussi arrivé de récupérer chez un ami luthier les restes d’un violoncelle sinistré, réutilisant l’ébène de sa touche et l’épicéa de sa table d’harmonie au profit de mes galets accidentés. Mais il m’arrive aussi de découvrir lors de mes pérégrinations des galets de bois vermoulus, menus débris d’embarcations, des chutes de bois d’œuvre ou des bris de branches mortes incomplètement consumées lors de feux de camp sur le sable dont les vagues, prenant le relais du feu, ont poursuivi le façonnage. Quelquefois, par miracle, leurs courbes correspondent à celles de quelque galet brisé auquel je parviens tant bien que mal à les ajuster. J’aime à penser que la pierre et le bois conjuguent le souvenir des musiques dans lesquelles ils baignèrent dans leur vie antérieure, celle de la mer, du feu, ou d’une fosse d’orchestre.
À l’hôpital des Galets brisés.
J’ai, de longue date, aménagé dans un coin de mon atelier un petit hôpital pour des galets brisés ramassés sur la grève ou dans le lit d’un torrent. Je leur fabrique des prothèses en bois pour combler ce manque qui leur donne à mes yeux plus de prix que les banales perfections de leurs semblables. Associant le temps du végétal à celui du minéral, prolongeant certaines veines de la pierre par celles du bois, j’appareille tant bien que mal mes patients avec des essences de récupération ayant eux-mêmes fait un long chemin depuis l’abattage de leur arbre d’origine ; par exemple, ce morceau de poutre en chêne trouvé dans le chantier de démolition d’une demeure vieille de plusieurs siècles et dont la densité rivalise presque avec celle du granit ; ou ces magnifiques rebuts de châtaigniers, de hêtres, de poirier ou d’ormes, sauvés du poêle d’un menuisier, et dont le lustre chaleureux tranche sous la main avec la froideur blanchâtre des grès armoricains. Il m’est aussi arrivé de récupérer chez un ami luthier les restes d’un violoncelle sinistré, réutilisant l’ébène de sa touche et l’épicéa de sa table d’harmonie au profit de mes galets accidentés. Mais il m’arrive aussi de découvrir lors de mes pérégrinations des galets de bois vermoulus, menus débris d’embarcations, des chutes de bois d’œuvre ou des bris de branches mortes incomplètement consumées lors de feux de camp sur le sable dont les vagues, prenant le relais du feu, ont poursuivi le façonnage. Quelquefois, par miracle, leurs courbes correspondent à celles de quelque galet brisé auquel je parviens tant bien que mal à les ajuster. J’aime à penser que la pierre et le bois conjuguent le souvenir des musiques dans lesquelles ils baignèrent dans leur vie antérieure, celle de la mer, du feu, ou d’une fosse d’orchestre.